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Il y avait en effet bien peu de chances que mon œil s'attachât d'emblée à l'ordonnance architectonique du lieu. Je me trouvais dans la situation de qui, arrivant au théâtre alors que le rideau vient de se lever, rejoint rapidement sa place et s'y installe, le regard déjà pris par la scène, le décor, les éclairages, et reste ignorant de cette salle peut-être admirable, mais plongée dans la sombreur, qui leur sert d'écrin.

Du haut des piliers, des projecteurs-spots dépêchaient leurs cônes de lumière vers le sol, éclaboussant généreusement au passage tout ce qui conférait à cet espace son caractère hors du commun, qu'on l'identifiât à la magie fabuleuse de la caverne d'Ali-Baba, à la sophistication avant-gardiste d'un loft branché ou au charme vaporeux et raffiné de la loge d'une diva.

Cascades et bouillonnements lumineux rejetaient dans le néant – hors de la vue ou de l'esprit – tout ce qui leur était étranger. Ainsi, les cintres de la voûte, tels ceux du théâtre, étaient renvoyés à leur obscurité première, les murs ne s'éclairaient que là où des draperies venaient en masquer l'appareil, le pavement n'apparaissait qu'à la frontière chatoyante des tapis qui le recouvraient.

Mes yeux s'étaient écarquillés, tant j'étais saisi d'étonnement. Ma bouche s'ouvrit sur un juron que je réprimai avec peine, puis se referma lentement tandis qu'un sourire s'installait sur mes lèvres : le repaire de « la dame de Saint-Sulpice » ! Une sourde exaltation me gagna. Ce que je venais de découvrir éclipsait tout ce que ma pauvre imagination m'avait donné à penser. Envolée, la morosité qui m'avait habité les jours précédents ! Je venais de renaître...

Le calme régnait. Pas un bruit, pas un mouvement. Manifestement la « propriétaire » des lieux était absente. Encore un peu étourdi, j'écartai le pan de la portière et, marquant juste une dernière hésitation, je descendis les deux marches hautes...