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Un petit quart d'heure s'était écoulé. J'avais oublié l'incident et m'apprêtais à me lever, le dessein bien arrêté de transporter mon inactivité à une terrasse de café voisine et concurrente, plus éloignée du Balzac de Rodin dont la morgue de bronze annihilait mes velléités d'écriture.

C'est alors que j'eus à nouveau le sentiment de quelque chose de curieux se produisant là, sous mes yeux, et dont je ne pouvais, cette fois-ci, manquer de saisir l'origine. Je dus, un brin désappointé, constater qu'à première vue le fait en question était des plus anodins : parcourant mon champ de vision de la droite vers la gauche, – à cet instant je pris conscience de ce qu'elle l'avait fait, précédemment, de la gauche vers la droite, – une femme dont je dirais qu'elle était de petite taille et d'âge incertain, trottinant à pas menus et pressés, le corps penché vers l'avant et le regard rivé au sol comme à la poursuite incessante d'un équilibre hasardeux, se frayait un chemin zigzagant au milieu de la foule qui encombrait le trottoir.

Elle était vêtue de noir, de la tête aux pieds : bibi noir fragilement posé sur le sommet du crâne, souliers noirs aux reflets de cuir vieilli, manteau noir étriqué qui enserrait ses formes fluettes. L'ensemble avait un air vieillot, démodé, hors de saison. C'est ce qui avait dû me frapper lors de son premier passage, mais n'avait sur le moment laissé qu'une impression subtile, fugitive, insaisissable. Dans le lent défilement de la blondeur ensoleillée des peaux et des étoffes légères, la frêle silhouette sombre paraissait incongrue, déplacée, petite fourmi égarée au sein d'une colonie étrangère et peut-être ennemie, sans que ne s'en trouve altérée pour autant la logique de sa quête personnelle.

L'entomologiste amateur que j'étais à mes moments perdus ne put résister à ce qui lui parut être un appel du destin. Renonçant à mon projet antérieur, je me lançai sur les pas de cette créature et entrepris une filature discrète, dont je n'avais, d'évidence, aucune idée de l'endroit où elle allait me mener.