5.

 

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Les histoires de mes trois personnages concourent dans le temps et dans l'espace. Vous l'aviez compris. Je n'ai donc rien à dévoiler.

Un contrat, un crime passionnel, un suicide : trois morts violentes le même jour, au même instant, au même endroit. Voilà qui est fort de café ! Enfin, il faut laisser aller et voir ce qu'il en adviendra. Quant à moi, je vous quitte, je m'en vais sur la pointe des pieds. Maintenant, oui. Que voulez-vous, je n'ai plus à intervenir dans tout cela. Je ne suis plus concerné. Franchement, j'ai même de la difficulté à imaginer l'avoir été auparavant. Et pourtant !... Curieux, n'est-ce pas ? Bof, ce doit être un syndrome banal, je le reconnaîtrais sans doute comme tel si j'avais plus d'expérience.

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Laissons les fils se dénouer, je n'interviendrai plus. Autre chose m'attend, je suis déjà ailleurs. L'écriture d'une nouvelle m'occupe l'esprit. Un projet qui m'est venu un matin en m'éveillant. C'est une histoire assez curieuse, celle d'un... Mais je ne vais pas te la raconter. Peut-être la liras-tu un jour.

Peut-être l'as-tu déjà lue : le parcours du lecteur est si imprévisible ! La lecture du recueil dans lequel elle figure t'aura incité à celle du roman. Ou il s'agit simplement d'un hasard, au point que t'a échappé que l'un et l'autre sont du même auteur.

Hasards de la lecture ou aléas de l'édition ? Qui sait si ce roman, ma première œuvre : je te l'ai dit, ne devra pas d'être publié au succès rencontré par un recueil de nouvelles non encore écrites. A moins que ce ne soit plus tard, au zénith d'une carrière dont il serait pour le moins prématuré d'augurer ce qu'elle sera de ses balbutiements actuels. Le premier roman jusqu'alors non édité d'un écrivain maintenant incontournable. Certes l'écriture manque encore de rigueur et le style devra s'affirmer, mais l'ouvrage sans prétention dont nous saluons aujourd'hui la sortie en librairie, contient déjà en germe cet univers singulier dont la permanence dans l'œuvre de son auteur la rendra si attachante. Blablabla.

Il se peut aussi bien que ce livre ne soit suivi d'aucun autre, qu'il soit le premier et le dernier. Il se peut même que je renonce à l'imaginer à la vitrine des libraires, ou que je doive essuyer le refus unanime des éditeurs. Qu'il s'endorme pour toujours au fond de mon tiroir. Alors, lecteur, s'il en est ainsi, le fait est incontournable, tu n'existes pas ! Je m'adresse à quelqu'un qui n'existe pas, je soliloque, je me couvre de ridicule - et suis le seul à le savoir.

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Je vais te quitter. Tout est dit ou presque, mais l'instant m'intimide. Je m'habitue mal aux adieux. J'aimerais prolonger l'instant. J'ai l'impression qu'un vide va s'ouvrir.

Nous venons de passer un moment ensemble. Tu m'as accompagné jusque là, je t'en sais gré. Si d'occasion tu as manifesté de l'intérêt, de l'émotion, du plaisir, ne serait-ce que quelques courts instants, si j'ai su faire naître un sourire fugitif ou provoquer une irritation passagère, je m'en féliciterais. Je sais être modeste.

Je t'ai livré une part de moi-même, ma pudeur en a parfois souffert. Il m'est arrivé d'être grave, mais j'ai le plus souvent tenté de recouvrir cette gravité du voile de l'humour, ou même de la dissimuler derrière le rideau de la dérision. Lecteur, n'accorde pas à ce que j'ai écrit plus d'importance qu'il n'est nécessaire ou souhaitable de le faire.

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Me voici donc parti, j'abandonne mes héros. Je les laisse poursuivre seuls leur chemin. Et moi, il me faut dès à présent apprendre leur absence.