4. Martine. a.

Oui, au fait, cette arme, d'où provient-elle ? Question pertinente. Je vais essayer de vous fournir une réponse qui vous satisfasse. Ce sera l'occasion d'en apprendre un peu plus sur Martine.

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Alors, l'arme, dites-moi, quelle en est la provenance ? Bonne question ! Comment Martine s'est-elle procuré ce pistolet automatique de calibre sept soixante-cinq ? Pan pan pan !... Six balles dans le chargeur.

Bon...

Eh bien voilà ! Ce pistolet appartenait à son père qui le ramena d'Algérie où il servit près de deux ans et demi, mêlé bien malgré lui à ce qu'il était de bon ton d'appeler une opération de maintien de l'ordre, à moins qu'il ne s'agisse de pacification, mais d'une pacification d'un genre si particulier qu'il en revint tout chamboulé. De retrouver sa maison vide n'arrangea rien, bien au contraire. Josette (sa femme) s'était enfuie du domicile conjugal abandonnant la petite Martine (leur fille) alors âgée de vingt-deux mois. Ses parents (à lui) l'avaient recueillie (Martine) et...

Non, cela ne colle pas du tout. Ne serait-ce qu'en raison des dates : si l'on s'en tenait à cette version, Martine aurait dans les quarante ans, or elle est bien plus jeune, vingt et quelques, pas plus. On ne peut tout de même pas écrire n'importe quoi. Un minimum de cohérence est due au lecteur. Voyons voir...

Le père de Martine était bien en Algérie durant la période évoquée, mais il était alors célibataire. Il ne s'est marié que bien plus tard, en 1972, déjà vieux garçon, trop perturbé jusqu'alors par ce qu'il avait vécu pour songer à épouser qui que ce soit. A l'issue de son service militaire, il avait été repris par le patron qui l'employait auparavant. Une boîte qui fabriquait du matériel électronique. C'est là qu'il connut celle qui allait devenir sa femme puis la mère de Martine. Elle était sa cadette d'une dizaine d'années. Elle venait d'être embauchée et travaillait dans le même atelier que lui. C'est pourquoi... (On est en 71. Quelques mots rapides sur leur liaison, leur mariage en 72, alors qu'elle est enceinte de Martine. Son décès à lui, en 87, d'un cancer.)

Cette version tient mieux la route. Elle est cohérente du point de vue de la chronologie. Mais celle-ci devient trop pesante, elle envahit tout. Je suis là avec ma calculette à vérifier qu'il n'y ait pas de lézard. Cela se sent. Et pourquoi cette importance accordée au père de Martine ? Il n'est après tout que le vecteur choisi pour l'introduction de l'arme. Il faut recentrer sur Martine et lui offrir un passé plus en rapport avec la destinée d'une héroïne de roman.

Cette fois-ci je crois que je tiens la bonne entrée. Martine quitte ses parents à 15 ans. Elle fuit ce milieu familial dans lequel elle étouffe. (On pourra développer, mais en évitant les accents mélodramatiques. Ne pas jouer par exemple la carte d'un père alcoolique aux pensées incestueuses. Suggérer plutôt une crise d'adolescence. C'est classique et parlant. Le lecteur trouvera dans sa propre existence de quoi étayer la thèse.) Simple crise d'adolescence, mais dont on ne peut sous-estimer l'ampleur. Martine a pris très tôt l'habitude d'aller jusqu'au bout de ses actes. Elle se réfugie chez son oncle Antoine, le frère aîné du père, un demi-frère plutôt, vieux garçon, ancien d'Algérie. Il va finir d'élever cette gamine comme s'il s'agissait de sa propre fille. (Un type bien. Faire un portrait sympathique de l'individu. Un marginal mais un type bien. (Le "mais" est de trop.)) Antoine meurt en 1992, d'un cancer. Martine, qui a alors vingt ans (Le problème de la chronologie est réglé avec sobriété ! ), hérite de tout, y compris de cet automatique enveloppé dans un linge, impeccablement entretenu, huilé juste ce qu'il faut, ne présentant aucune trace de rouille.

Le chargeur était à part. Martine le trouva dans un autre tiroir.

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Vous vouliez apprendre comment Martine s'était procuré l'arme avec laquelle elle doit tuer Pierre ? Je suis en mesure de vous le dire. Mais êtes-vous certain que le fait de le savoir revête un si grand intérêt ?