4. Killer. b.

Ne rien laisser au hasard. Il saura bien intervenir lorsque bon lui semblera, pour ajouter cette pincée d'impondérable sans laquelle toute action humaine sombre dans la routine et dans l'ennui.

*

Le véhicule : une moto. Moto volée. En Allemagne. La filière habituelle. Nouvelle immatriculation, papiers en règle, des faux impeccables, le travail de Fred, un pro, no problem.

La moto. Choisie sur catalogue. Kawa Zéphyr 750. Cylindrée confortable mais sans démesure. Modèle assez répandu, non ostentatoire, ne retiendra pas l'attention.

La moto. Machine récente, 93, faible kilométrage, révisée pour la circonstance, parfait état de marche, le plein fait. Va bene.

Couleur de la moto : un bleu profond, non métallisé, n'attirera pas l'œil. La machine est propre mais ne rutile pas. Brillance des chromes atténuée, risque amoindri de réflexion intempestive du soleil.

La moto. M'attend dans une remise. Adresse de la remise, clé de la remise, OK. Sur place, papiers de la moto, clé de la moto, casque. Indispensable, le casque. Pour la circulation.

La moto. No problem.

*

L'arme. Un revolver. Collection personnelle. Il m'a été offert par le comte de Carboni en échange de l'oubli d'une dette de jeu. Une arme rare, elle lui venait de son père, il y tenait beaucoup, je ne lui ai pas laissé le choix. Mon cher, vous ne me laissez guère le choix ! Mais puisque mon honneur est à ce prix... C'est la seconde fois que je l'utilise. Ce sera la dernière. L'occasion ne s'en représentera pas.

Le revolver. Smith and Wesson. Crosse présentant de belles incrustations d'ivoire, canon et platine finement ciselés. Modèle de l'entre-deux-guerres, techniquement dépassé, un peu lourd, mais solide et fiable, aucun risque d'enraiement. No problem.

Le revolver. Une arme connue seulement de quelques collectionneurs, photographiée dans "Connaissance des Armes", numéro 132, novembre 1948, page 56. Ne figure dans aucun fichier de police. La balle qu'elle expédiera résistera aux investigations, gardera l'anonymat, ne se mettra pas à table.

Puisqu'on en parle : les munitions. 38 Special . Projectiles de fabrication artisanale, travail personnel. Un savoir-faire qui se perd.

Un revolver, donc pas de silencieux. C'est prévu, voir plus loin. OK, tout est OK.

Le revolver : couché sur une serviette de bain pliée, dans un sac de cuir noir à bandoulière. Le sac est porté en position ventrale et repose sur le réservoir de la moto. Fermeture velcro. Aucun risque d'enraiement.

Le revolver. No problem.

*

L'habillement. En rapport avec le lieu de l'intervention. Style dignitaire d'entreprise à forte valeur ajoutée. Surveste de cuir noir, pour la moto. Ouverte sur le costume. Costume gris, croisé, Hugo Boss. Classique, sobre. Chemise bleu ciel. Cravate.

Ah ! la cravate ! La cravate doit se voir, elle doit attirer l'œil, retenir le regard. Seta pura, Roma. Chatoyante mais raffinée. Attachante. Elle seule doit imprimer la rétine des témoins. Non, je ne vois pas, quelqu'un comme vous et moi, un homme d'un certain âge, d'une élégance... Ah ! on vous l'a déjà dit ! Je n'ai remarqué que sa très jolie cravate. De couleur vive, mais pas criarde. De la soie italienne, sans nul doute. Il semblait attendre quelqu'un et sifflotait en l'attendant. Un air d'opéra. Verdi, Puccini, Bellini... Je ne saurais vous dire. Oui, italien, l'opéra. Comme la cravate. Non,... à part la cravate, je ne vois pas.

Chaussures à lacets, cuir noir, semelles antidérapantes. Fabrication anglaise, modèle sport, seyant même à la ville.

Gants. Chevreau noir.

L'habillement. No problem.

*

Le trajet.

Se rendre à la remise. Taxi à l'hôtel dans vingt minutes, me dépose place de l'Opéra. Métro. Tickets de métro, OK. Ligne 3, direction Pont de Levallois. Changement à Saint-Lazare, ligne 13, Saint-Denis-Basilique. Descendre porte de Saint-Ouen. Il reste trois cents mètres à parcourir. A pied.

De la remise à La Défense. Moto. Boulevard périphérique, Porte Maillot, avenue de la Grande-Armée, etc..

Le trajet a été reconnu trois fois, dans des conditions similaires : un jour de la semaine, en fin de matinée, par beau temps. Arrivée prévue sur le site à midi moins dix. Battement de trente minutes pour faire face aux aléas.

Midi vingt : installation sur l'esplanade au point P. Le point P a été choisi à l'extérieur de la zone de migration des touristes. Pas de touristes, donc pas de photos.

Midi vingt : impératif. Respecter cet horaire. Au besoin faire tranquillement une ou deux fois le tour du centre d'affaires par le boulevard Circulaire.

Midi vingt. Il reste un quart d'heure pour réaliser l'intégration dans l'environnement du motard, de son engin, de sa surveste de cuir, de sa cravate, and all that kind of things. Se fondre dans le paysage.

Un quart d'heure. Impératif. Moins d'un quart d'heure, l'osmose avec le milieu ambiant n'a pas eu le temps de se faire. Plus d'un quart d'heure, la présence du motard, de son engin, etc. devient anormale, donc suspecte.

Après l'action, no problem. Direction porte Maillot, abandon de la moto dans le parking du Palais des Congrès. RER. L'hôtel, y récupérer ma valise. Taxi. Gare de Lyon (ah ! l'affaire Barthelouze ! ), TGV. Billet, réservation, OK.

Tout est OK.

*

L'homme. Photo découpée dans un magazine. Londres, il y a six mois, au sortir d'une party chez Lady Beach.

L'homme. Un petit homme. Un homme d'habitudes, pas de surprise : loden, petit chapeau tyrolien, petites lunettes rondes. La barbe en moins. Photo retouchée en conséquence.

L'homme. Mémorisé. Photo inutile. Détruite. No problem.

*

Action !

En attente au point P, en retrait du CNIT.

L'homme sort du CNIT à 12 h 35, accompagné de deux proches collaborateurs et d'un garde du corps. Acheté, le garde du corps. Très cher. Trop cher, mais ce n'est pas mon problème. Les marteaux piqueurs se mettent en branle : ils avertissent de la sortie de l'homme, ils couvriront le bruit de la détonation.

Action. Ouvrir le sac. Vérifier la position de l'arme dans le sac. Laisser le sac ouvert. Contact. Cinquante mètres à parcourir. Au ralenti. Ronron du moteur.

Stop. Laisser le moteur tourner. Un pied à terre. Le revolver. Je tire. Pan ! Une seule détonation, un seul coup de feu, une seule balle.

La moto démarre, sans hâte. C'est terminé. No problem.

*

Régler ma note d'hôtel.

*

Bon ! Alors, on y va.