3. Killer. a.

A qui se propose d'occire son prochain est offert un large éventail d'approches différentes du problème. Qu'il soit meurtrier occasionnel ou criminel endurci, tueur patenté ou apprenti assassin, chacun peut trouver dans le foisonnement des méthodes et des techniques de quoi satisfaire sa sensibilité tout en tenant compte de ses compétences, et sans que soit négligé le contexte général, aussi bien que particulier, de l'opération projetée.

La multiplicité des ressources dans ce domaine est telle que la question peut être posée de savoir si quelqu'un en a dressé l'inventaire. Si cela n'a déjà été fait, disons-le tout net, il y a là matière à exercer plus d'un talent, car le sujet est suffisamment vaste et important pour qu'il puisse donner lieu a plusieurs produits, du catalogue raisonné, œuvre minutieuse d'un policier à la retraite, à la typologie savante élaborée par une équipe d'universitaires, sans oublier l'anthologie que cisèlerait amoureusement un amateur éclairé.

La production écrite, cinématographique ou télévisuelle fournirait un excellent corpus, et même une référence indiscutable, tant il est vrai qu'en ce domaine les auteurs de fiction ont écumé la réalité, n'hésitant pas à la déborder, donnant alors libre cours à une inventivité débridée, en un mot s'assurant le succès par leur capacité à faire du neuf dans l'art de refroidir, de l'inédit dans l'habileté à trucider.

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Mais quand on est un tueur professionnel, on a ses préférences, on a ses habitudes. On ne peut du reste être compétent dans tous les domaines. Le choix que fait le tueur au début de sa carrière est parfois le fruit du hasard, le résultat d'un concours de circonstances, mais il y entre toujours quelque chose de ce qu'il est, un je-ne-sais-quoi qui fait de ce choix le produit de sa personnalité. Plus tard, lorsque la méthode et la technique se seront affirmées, elles apparaîtront comme la signature du tueur, un identifiant de son acte, à l'instar de la patte du peintre ou de la petite musique de l'écrivain, et seront devenues constitutives de sa personnalité.

S'il fallait établir une classification rapide pour dire qui est le tenant de quoi, nous pourrions, grosso modo, distinguer deux catégories : il y a ceux qui chourinent et ceux qui flinguent. Mais cette vision est réductrice car, d'une part elle exclut certaines pratiques originales, comme par exemple le recours à l'explosif, et de l'autre elle mérite d'être corrigée pour rendre compte de la répugnance que manifeste le tueur professionnel à utiliser l'arme blanche, celle-ci demeurant, à ses yeux, l'apanage du crime crapuleux. Remarquons enfin que l'auteur traite ici d'un sujet qu'il ne connaît pas et qu'il ne s'est livré à aucune étude sérieuse pour remédier à son ignorance. Peu importe, vous dites-vous, qu'attend-il donc pour nous  parler de K.

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Eh bien, pour en revenir à K, précisons d'emblée qu'il appartient à la deuxième catégorie. K est un flingueur. Il a toujours eu une attirance pour les armes à feu, s'en tenant cependant à celles qui sont portables et dont le maniement est suffisamment aisé pour être le fait d'un seul individu, sans que celui-ci n'en ressente de gêne aux entournures, ce qui élimine l'artillerie lourde mais aussi mitrailleuse et bazooka. Notez que K ne joue pas non plus de la clarinette, entendez par là qu'il se refuse à user de la mitraillette, cet outil malpropre et bruyant qui arrose sans discernement, non seulement la cible à atteindre, mais aussi et surtout ses alentours immédiats. Sans doute maintenant comprenez-vous mieux pourquoi, à propos de l'affaire Barthelouze, K n'hésite pas à dire, au risque de paraître dénigrer un confrère, qu'elle a été menée avec beaucoup de légèreté. Le fait que, par surcroît, l'arme de la gare de Lyon soit une kalachnikov donne à cette histoire une connotation idéologique qui ajoute au déplaisir de K.

Par comparaison, quelques mots sur ce qui s'est passé à Milan. Quand ? En décembre dernier. Quoi ? L'assassinat d'un grand industriel allemand. Où ? Milan bien sûr, plus précisément à proximité de la stazione centrale, dans l'une des artères qui prennent naissance à la piazza Duca d'Aosta. Les circonstances ? Herr von X, appelons-le ainsi, a été abattu alors qu'il sortait d'un hôtel de classe dont le directeur a demandé que le nom ne soit pas mentionné ici, n'ayant pour tout garde du corps qu'une call-girl des plus ravissantes, comme elles le sont généralement lorsque la tarification de leurs prestations atteint un certain niveau. La fille a été mise hors de cause dès le début de l'enquête, ce qui est une preuve supplémentaire de la bonne préparation de l'opération, car en réalité... Bon. L'arme ? Un rifle d'origine américaine, modèle déjà ancien mais d'une grande fiabilité et d'une utilisation plaisante, agrémenté d'un silencieux, ainsi que d'une lunette bricolée par K lui-même autour d'une optique Zeiss, Iéna, ex-RDA. La balle, de fabrication artisanale, montre toute l'ingéniosité de son créateur si l'on en juge par les dégâts que causa ce projectile de calibre modeste à l'intérieur de la boîte crânienne de von X.

Que peut-on ajouter ? La police repéra aisément d'où le coup de feu avait été tiré : du deuxième étage de l'hôtel en vis-à-vis, une chambre occupée depuis l'avant-veille par un individu d'un certain âge, dont le personnel et quelques clients n'avaient retenu que l'élégance raffinée, sobre mais raffinée. Il avait déclaré s'appeler Eulenspiegel et parlait l'italien avec une telle aisance qu'elle en faisait oublier son fort accent bavarois. Ah si ! Monsieur le commissaire ! J'oubliais de vous dire que lorsqu'il passait dans le couloir, il abandonnait toujours derrière lui quelques notes d'un air d'opéra. Italien, oui, bien sûr ! Verdi, Puccini, Bellini... Non, pas Wagner. Si vous voulez mon avis, l'homme de la Tétralogie... Bah non, c'est tout.

K avait abandonné sa chambre depuis déjà vingt minutes lorsque la police y pénétra. Elle ne releva aucun indice autre qu'une douille en laiton poli, percutée depuis peu et que le laboratoire ne parvint pas à faire parler.

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La relation qui vient de vous être faite de K dans ses œuvres confirme, consolide, complète ce que vous saviez déjà. Mais avancer dans la connaissance d'un personnage n'a d'autre résultat que de repousser la frontière de ce qui, en lui, nous est encore inconnu. Sans doute aimeriez-vous savoir, par exemple, d'où vient l'engouement de K pour les armes à feu. Sur ce point l'auteur est assez mal renseigné. Il sait pourtant avec certitude que K possède une jolie collection à l'enrichissement de laquelle il consacre beaucoup de temps et d'argent. Il sait aussi que K aime à y puiser pour son travail, utilisant rarement la même arme pour deux contrats différents. Mais les origines de cette collection sont incertaines. Le bruit court, mais faut-il croire une rumeur ? que K commença de très bonne heure à amasser ce qui devait devenir son musée personnel, et que les toutes premières pièces qui y figurent sont un vieux pistolet à amorces rouillé et une petite carabine à bouchon dont on dit qu'elle fonctionnerait encore.