2. Martine. b.

(9h55)

 

Coucou me revoilà. J'ai fait une pause. Je ne sentais plus ma main, je n'ai pas l'habitude d'écrire autant. Et puis ça ne sert à rien que je t'envoie des fax si je ne te laisse pas le temps de les lire. Surtout que je suis prête à parier qu'il y en a d'autres que toi à qui ça fait de la lecture ! C'est qui ? C'est encore Martine ? Fais voir ce qu'elle lui met ! J'ai comme l'impression que tu n'apprécies pas trop. Je te trouve l'esprit moins partageur tout d'un coup. C'est parce que tu n'as pas l'initiative. Partager, c'est bien quand c'est toi qui décides. Écoute ma chérie, tu peux bien me partager un peu, non ? Et puis, si toi aussi tu as envie... Ben voyons !

Je me suis fait réchauffer un peu de café. Je suis en train de le boire. Oui oui je sais ce que tu vas me dire, je ne devrais pas boire autant de café. Ça ne fait pas bon ménage avec les médicaments que je prends. Je vais être encore énervée, surexcitée. Moi tu sais, Pierre, là où j'en suis les histoires de bon ménage c'est plus tellement mon problème ! Et les médicaments je ne les prends plus, Pierre, ça fait déjà presque une semaine. Je n'en ai plus besoin, plus du tout, je vais bien, tout à fait bien. Il n'y a plus aucune raison pour qu'on continue à me faire jouer les zombies.

Donc, Pierre chéri, tu n'as pas de souci à te faire pour moi. Je peux boire une tasse de café ou deux ou trois sans qu'il soit nécessaire d'appeler le SAMU. Je suis très calme, on ne peut plus calme, tout à fait calme. Je vais t'en donner la preuve : je ne pense plus du tout au suicide. Tu avais raison ce n'était pas une bonne idée. Et puis un premier échec ça marque. Je n'ai pas trop envie de connaître ça une seconde fois. Mais ne t'inquiète surtout pas, ou plutôt ne pousse pas trop vite un ouf de soulagement : des idées j'en ai d'autres. Enfin une autre, mais c'est suffisant. Une idée géniale ! Tu vas voir à quel point elle est géniale mon idée. Tu es prêt ? Alors écoute bien : je vais te tuer, Pierre. Non non, tu as bien lu : JE VAIS TE TUER !

*

Évidemment tu ne me crois pas. Qu'est-ce qu'elle va encore inventer ! Et même tu souris. Un sourire que j'aime de moins en moins car maintenant j'y vois de la pitié dans ce sourire et ça je ne peux pas le supporter, c'est insupportable. Tu ne me crois pas quand je te dis que je vais te tuer ! Tu as tort Pierre. Je suis très sérieuse, je n'ai jamais été aussi sérieuse. J'ai bien réfléchi. Parce que je peux de nouveau réfléchir maintenant que je ne prends plus de médicaments. Je me suis dit tout ce qui nous arrive c'est de sa faute, c'est lui le responsable, c'est lui qui doit payer ce n'est pas moi. D'ailleurs moi je paie depuis le début, c'est maintenant son tour. Alors il me fallait l'équivalent de mon suicide manqué. Bien sûr, Pierre, je ne peux pas te demander de te suicider pour me faire plaisir. N'est-ce pas, ça te fait rire, tu en fais une grosse farce du genre : Mais comment donc, ma chérie, c'est à mon tour, je me suicide, je me manque, un à un, nous sommes quittes ! C'est ça que tu penses, tu es assez salaud pour penser ça, que je n'ai jamais vraiment voulu me suicider, que j'ai fait semblant, juste ce qu'il faut pour qu'on y croie, qu'on dise c'est lui le responsable, que tu, que tu, ah oui que tu culpabilises.

J'ai réfléchi à tout ça, Pierre. Après c'était facile : qu'est-ce qu'on peut faire pour se débarrasser d'un salaud ? Réponse : le tuer. Le tuer et surtout ne pas le louper. C'est logique tu ne trouves pas ? Moi si, je trouve ça très logique. C'est même très juste. Juste, comme justice. Une vraie justice qui ne s'en prend pas qu'aux victimes mais qui fait aussi payer les coupables.

Tu ne me crois toujours pas. Il va donc falloir que je sois persuasive. Comment tu dirais toi déjà ? Crédible, oui c'est ça : crédible. C'est-à-dire que j'entre dans les détails, que je dise où quand comment. Tu te diras alors elle ne parle pas en l'air. D'un seul coup ça deviendra plus "crédible". Elle y a vraiment réfléchi. Et si c'était vrai, si elle le faisait ? Tu commences à paniquer. Il faut que tu desserres un peu ta cravate. On te regarde d'un drôle d'air. Tu as chaud subitement. C'est comme si la climatisation s'était détraquée. Tu transpires. Les autres ne savent pas s'il faut rire ou bien prendre au sérieux. Il faut prévenir la police Pierre. C'est une folle. On ne sait pas ce qu'une folle peut faire. Ta chère secrétaire. Mais c'est qu'elle s'inquiéterait !

Alors je t'explique. Commençons par quand, ça permettra en même temps de dire où. Quand ? Mais aujourd'hui, tout à l'heure, quand tu quitteras ton bureau pour aller déjeuner. Tu vois ? Tu as quitté ton bureau, tu as pris l'ascenseur, tu es dans le hall, tu sors sur l'esplanade. Et alors là, PAN ! Tu veux que je recommence ? Tu quittes ton bureau, tu prends l'ascenseur, tu sors de la tour, bon je vois que tu as compris. Je t'ai même dit comment. PAN ! Ah oui, ça c'est la surprise. Je te dirai rien. Ou plutôt si : c'est pas un machin à amorces, ni un pistolet à eau, c'est un vrai de vrai, en bon état de marche. Enfin je crois.

Je te dis que j'ai pensé à tout. Même à après. Ce sera un crime passionnel. Prémédité mais passionnel. Pas le crime d'une folle : un crime passionnel. Je vais faire pleurer les jurés. Ils diront : le salaud ! Parce que la justice, ça existe vraiment. Moi j'y crois.

*

Voilà ! Je t'ai tout expliqué, je te laisse avec. Il faut que tu t'y habitues et il ne reste pas tellement de temps. On va parler d'autre chose. J'ai rencontré Alex hier après-midi. Par hasard. C'était du côté d'Odéon, il sortait du métro. Il m'a dit qu'il ne comprend pas, que quand on a la chance d'avoir une petite femme comme ça, on ne la bazarde pas de cette manière. C'est exactement ce qu'il a dit. C'est le mot qu'il a employé : bazarder. Et pourtant Alex il est pas intéressé, vu que lui et les femmes ! Il a l'air très en forme en ce moment. Il m'a parlé du livre qu'il écrit. Je crois qu'on sera dedans tous les deux. Je lui ai dit que je préparais de quoi mettre quelques pages de plus sur le sujet. Toi qui disais toujours que je manque d'humour ! Et tu vois j'en rajoute : je parle de toi à l'imparfait maintenant. D'accord c'est pas exprès. Mais enfin !

Bon ! Je commence à avoir une crampe. Je vais arrêter là. Pour l'instant. Mais que tout le monde se tienne prêt, la lecture va bientôt continuer. Et le prochain épisode, c'est promis, il va être super. Su-per. Je suis sûre qu'il aura beaucoup de succès !

Tu sais Pierrot, quand tu seras mort, tu me manqueras beaucoup.