1. Georges. a.

Georges. C'est son prénom. Son nom ne nous est pas connu, à moins que nous ne l'ayons oublié. Il a la cinquantaine passée. Cinquante-deux ans pour être plus précis, ou peut-être ne les aura-t-il que dans quelques jours, ou dans quelques semaines. Pardon : ne les aurait-il. Bon. L'âge qu'il faut pour penser ce que Georges pense.

Ce que je pense ? Qu'une certaine expérience de la vie, du fait de cet âge-là, mais aussi des circonstances... Non, je ne parle pas de celles de l'accident, ni de ses conséquences. Je songe aux opportunités qui se sont présentées, aux occasions que j'ai saisies. Clac !

Il frappe dans ses mains, comme on écrase un moustique. Est-ce vraiment le geste qui convient ? Accompagne-t-il fidèlement l'idée ? Illustre-t-il avec pertinence la pensée de Georges ? Nous imaginerions plutôt celui-ci lancer un bras vers l'avant et, de la main qui se trouve au bout de ce bras, crocheter l'air comme pour attraper un moucheron. Ou quelque autre insecte voletant à proximité. Mais moucheron ou autre, disons-le, cela importe peu, car en réalité il ne se passe rien, aucun bras ne vient battre l'air, ni les mains frapper l'une contre l'autre. Le geste n'existe que dans l'esprit de Georges.

Aussi loin que je remonte dans le passé... Ma manière d'aider le hasard, que tout ne soit pas de son simple fait.

Sauf cette fois-ci, celle de l'accident. A moins que Georges ne s'illusionne quant à sa capacité d'influer sur le cours des événements. Auquel cas il faudrait rechercher là, a contrario, l'unique intervention de sa part ayant infléchi, modifié l'ordre des choses. Irréversiblement.

Bref, il me semble que ce vécu, suffisamment riche, diversifié, ma vie quoi, me permet d'envisager la dernière escapade, le grand départ, sinon en toute simplicité, du moins avec l'impression, la sensation que l'essentiel a été dit et fait. Qu'il n'y aura plus désormais rien de bien nouveau, de véritablement exaltant, rien qui mérite de retenir mon attention, qui me tire par la manche, et que tout ce à quoi j'accordais de l'importance est maintenant derrière moi.

Georges tente de se convaincre, c'est clair, et cherche à masquer son émotion dans un certain détachement du ton. Il ne parvient qu'à retirer de son propos la simplicité qu'il croit lui conférer. Nous ne saurions pour autant lui reprocher cette affectation : la circonstance présente suffit à l'excuser. Certains la trouveront même de mise. En effet, Georges prend congé. Avant de se suicider.