Ophélie. 3.
Au bord du ruisseau, feuillage argenté d'un saule dans le miroir de l'onde. Le moment est venu. Des choses de la vie l'oubli me gagne. De cette vie ma vie. S'échapper, disparaître. Dans l'air... Ici... Regarde bien, le chat, car c'est l'instant. Me perdre à leurs yeux, pour toujours, et cette couronne de fleurs que mes doigts ont tressée, marguerites et renoncules, renoncules et marguerites, que le courant l'emporte.
Mes pas dans ce quartier où jamais ils n'étaient venus. Hasard de mon vagabondage. Ce café dont j'ignorais l'existence. Besoin de se poser quelque part. J'entre là et m'assois. Mettre fin à l'errance. « Un thé, s'il vous plaît. » Leur regard mon regard. Ces quelques minuscules instants de partage. Mon existence leur existence. La dernière goutte de thé est bue et le moment venu. Objets auxquels laisser encore quelques ultimes secondes de présence s'accrocher. Une pelote de laine roule sur le sol et s'échappe, une bouteille se vide de son vin, une carte à jouer quitte les doigts qui la retenaient.
Un petit monde clos, dernier enracinement. En sortir et ne plus avoir à le quitter. Alors même qu'ils pensent m'avoir déjà oubliée, mais comment pourraient-ils savoir, ou seulement imaginer. Sans un signe, aucun, les laisser face à cela, désolée pour l'embarras causé, désordre et dérèglement, journaliciers et polistes, chatons de noisetier...
L'autre. Son manège ne m'a pas échappé. J'ai bien vu qu'il s'est servi de son mobile pour me prendre en photo. Un souvenir de moi en quelque sorte ! Mais les images résistent-elles mieux au temps que les apparences que l'on se donne, ou bien ont-elles le même caractère fugace ? Et qui peut véritablement savoir ce qu'il restera de cette histoire. Cette histoire mon histoire.
Mais il est temps. C'est maintenant. Il suffit de le vouloir, de le vouloir très fort, de le vouloir du plus profond de l'être, du non-être. Un, deux, trois... Leurs regards me chercheront, me chercheront... Renoncules et...
Voilà. C'est fait.
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