Mahous. 1.
Pour une drôle d'histoire, c'est une drôle d'histoire.
Dès à présent il faut que vous le sachiez : je suis le seul qui ait vraiment tout vu. Vous m'entendez : tout ! On me croit perpétuellement assoupi, indifférent à ce qui n'est pas l'état de fraîcheur de ma litière, le bon niveau de remplissage de mon plat, les quelques maigres caresses que l'on veut bien me prodiguer. Détrompez-vous ! Là, sur ce coin du zinc qui m'est dévolu et que tout le monde ici respecte, à bonne distance du percolateur et de ses éructations importunes, lové au creux du coussin douillet de mon panier, je feins le désintérêt, je simule l'absence, je contrefais l'oubli. Mais il ne s'agit en réalité que d'un artifice destiné à assurer ma quiétude car, comme tous ceux de mon espèce, je ne dors jamais que d'un œil et rien, vous m'entendez bien : rien, ne m'échappe. Depuis tôt le matin jusqu'au soir tard, de l'ouverture à la fermeture, du premier tabagique au dernier pochard, je suis à mon poste d'observation et... j'observe.
« Mahous ! Curieux nom pour un chat ! », direz-vous. En fait, mon nom de baptême est Moustache, décliné très rapidement en Moumousse. Pourquoi pas. Le sobriquet est venu ensuite, bien plus tard, né de l'indélicate exclamation d'un client de passage. « Il est mahous vot' chat ! » Oui, je ne peux le dissimuler, je suis un gros chat, énorme diront certains, monstrueux m'arrive-t-il de penser. Il faut incriminer le manque d'exercice, une nourriture trop riche, mais aussi certaine opération que je subis étant petit et au sujet de laquelle je n'ai pas l'intention de m'étendre ici.
Le ridicule ne tue pas. Mahous ! J'ai fini par m'y habituer. Et même par accepter les malentendus qui pouvaient en résulter. Ainsi ce couple de touristes anglais l'autre jour. Fernande avait fait les présentations : « Lui, c'est Mahous ! », et la petite lady de s'écrier : « Mouse ! What a funny name for a cat ! ». Ce jour-là, vexé mais ne voulant le montrer, je m'étais longuement étiré avant de demander à sortir, histoire de passer mes nerfs sur les collègues du quartier qui auraient oublié les limites exactes de mon territoire.
Mais c'est d'Elle qu'il me faut maintenant parler.
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